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Bonjour Jean-Philippe, comment vas-tu ?
Jean-Philippe – Pour commencer, je te remercie pour le travail que tu fais. Je suis en pleine forme. Je m’entraine 30 minutes tous les matins avant de commencer ma journée. Cela me permet de me préparer pour mes entraînements du soir. Il fait très froid actuellement et ça peut peser sur le moral. Être actif, ça fait du bien.
Si je te dis “santé mentale”, à quoi ça te fait penser ? Que fais-tu pour prendre soin de ta santé mentale ?
Jean-Philippe – Pour moi, la santé mentale évoque le passé. Elle évoque des souvenirs d’enfance, car j’ai eu des proches qui ont souffert de problèmes de santé mentale. Beaucoup d’événements en Haïti causent des problèmes de santé mentale et ont affecté mes proches. C’est une chose à considérer, mais lorsqu’on vit en Haïti, ce n’est pas bien vu et le terme n’est pas très bien compris. Il est associé à d’autres choses.
Lorsque je suis arrivé au Canada, j’ai compris que la santé mentale était beaucoup plus importante que ça. Il y a des associations et des institutions qui s’occupent de ce sujet, qui accompagnent des personnes. C’est moins tabou.
La santé mentale est centrale dans mon travail aujourd’hui. C’est pour cela, qu’en tant que fitness coach, j’ai créé un atelier “se dépasser sans se surmener”, que je propose aux institutions, aux leaders d’entreprises qui ont de lourdes responsabilités. Le sport leur permet de faire l’équilibre. Nous pouvons travailler à haute intensité, être très performant, mais à un certain moment, le corps et l’esprit ont besoin de récupérer. Et c’est là que j’interviens.
Ces outils de santé mentale, je les applique aussi à moi en tant qu’athlète. J’essaie de faire l’équilibre entre mes activités professionnelles et mon temps personnel. J’essaie de lire, de m’instruire, mon agenda est agencé de sorte que je trouve du temps libre pour décompresser.
Parlez-nous un peu de toi, de ton parcours universitaire et professionnel ?
Jean-Philippe – Après mon bac, j’ai entrepris des études de sociologie, sous l’influence d’un professeur que j’admirais. Ces études m’ont ouvert les yeux sur la complexité de l’être humain, ses interactions et les structures sociales. Ce parcours sociologique m’a aidé à avoir une base scientifique et rationnelle mais toutefois, j’ai compris que ce n’est pas la voie que je voulais poursuivre. Donc, je ne suis pas allé jusqu’à la maîtrise.
J’ai bifurqué vers le sport, car c’est une discipline qui me passionne depuis Haiti. Pendant mon parcours scolaire, j’ai fait du Volley-ball et de l’athlétisme et cela m’a grandement aidé à trouver ma voie.
J’ai une certification en tant qu’entraîneur, une formation en massothérapie et en nutrition. Aujourd’hui, je suis coach fitness, j’accompagne des gens à avoir une bonne nutrition, à rester en forme, tant physiquement que mentalement. Je sens que j’ai un impact vraiment concret sur la vie des gens.
Es-tu épanoui dans ton travail ? Quelles sont les clés de cet épanouissement ?
Jean-Philippe – Je suis vraiment épanoui dans ce que je fais. J’aime beaucoup cette profession. Mais la réalité du fitness est très difficile, il ne faut pas le cacher. Proposer une offre adaptée, trouver ses premiers clients, s’émanciper financièrement demande du temps, de la passion et de la persévérance. Il y a des hauts et des bas, comme dans tous les métiers du monde. Trouver l’équilibre est le meilleur compromis.
Quelles sont tes passions ? Que fais-tu pendant ton temps libre pour te ressourcer ?
Jean-Philippe – J’aime beaucoup la lecture et l’écriture. L’écriture me permet de formuler mes pensées et mes idées. Cela me permet de faire de l’introspection. La littérature me permet de nourrir mon esprit.
Je suis passionné par la transmission. Je fréquente beaucoup de jeunes et c’est un plaisir de leur transmettre mes valeurs, mes connaissances pour pouvoir les inspirer. Il y a un manque de vrai, un manque de modèle. Les réseaux sociaux prennent beaucoup de place dans leur quotidien, c’est important de se reconnecter au présent de temps en temps.
Qu’est-ce que ça fait d’avoir 30 ans à Montréal aujourd’hui ? Comment vis-tu ta trentaine ?
Jean-Philippe – C’est une période remplie de questionnement et de stress. Il y a ce concept culturel qui fait croire que la trentaine est une période où il faut être accompli. Pour ma part, je sens que je n’ai pas encore atteint le but final. C’est une vraie période de remise en question pour moi. Je comprends ma mission, mais je sens qu’il me manque un élément pour y arriver.
La trentaine c’est aussi la course contre le temps, on pense à la création de sa famille. Je n’ai pas de pression de ce côté-là. Mais la société peut te le faire sentir. Il y a aussi le fait de se dire que la quarantaine approche plus vite, sentir qu’on est en train de vieillir, que le corps ne sera pas toujours au top de ses capacités. Évoluant dans le fitness, je me pose cette question par moments.
Mais c’est aussi une période ou on est fougueux, rêveur, on est capable d’avoir une idée et de la transformer en projet. La trentaine sert aussi à faire plein des choses, à réseauter, à acquérir de l’expérience, etc.
Être un trentenaire qui vit à Montréal, qu’est-ce que cela implique d’après toi ? Quelles sont tes préoccupations ? Penses-tu qu’elles seront les mêmes si tu étais en Chine, à New York, Port-au-Prince ou à Abidjan ?
Jean-Philippe – La géolocalisation fait une grande différence en termes d’opportunités. Je suis content de vivre à Montréal et d’avoir accès à beaucoup d’opportunités. C’est une ville ouverte, l’accès aux ressources est importante. Un trentenaire ici a accès à beaucoup de ressources pour se construire, travailler sur des projets et réaliser ses rêves.
Je me dis que si j’avais été en Haïti, j’aurais fait un autre métier probablement. En Chine ou à Abidjan, ça aurait été différent. Ma conception du social, ma conception politique serait différente. Le sentiment d’émancipation ne serait peut-être pas le même, il serait peut-être très localisé. Je me dis aussi que je pourrais être en quête de ressources, car c’est un sentiment qui m’a habité lorsque je vivais en Haïti. L’impression de manquer d’outils pour me réaliser.
La géolocalisation influence beaucoup sur qui on est et où on veut aller. Je ne ferais probablement pas les mêmes choses. Ma mission serait peut-être la même, mais avec une vision différente. Là où l’on vit définit qui on est.
Est-qu’on peut dire qu’Haïti a un impact sur l’homme que tu es aujourd’hui ?
Jean-Philippe – Beaucoup. La richesse de l’éducation que j’ai eu en Haïti m’accompagne jusqu’à présent. Ma fondation, l’apprentissage des langues, mon intérêt pour la littérature et l’écriture, j’ai développé tout ça en Haïti. Ma compréhension du partage, de la fraternité, vient d’Haïti. ça a énormément contribué à l’homme que je suis.
Mais aujourd’hui, c’est difficile de s’identifier au pays. Nous avons perdu nos repères. La situation socio-économique empire de jour en jour. Je suis traversé par ce conflit interne, à devoir me justifier quand Haïti vient dans la conversation.
Tes rapports avec Haïti aujourd’hui ? Tu as un plat préféré ? Écoutes-tu encore du Compas ?
Jean-Philippe –Mes rapports avec Haïti sont très fermes, j’essaie de les nourrir à travers mes amis. Ils m’aident à rester connecté à mes racines. La gastronomie a une place importante, j’adore beaucoup la banane pesée, le jus Corossol, la soupe Joumou du 1er janvier est un incontournable.
Au niveau de la musique, oui, j’écoute encore du Compas, et ça éveille beaucoup de souvenirs. Je vois une belle évolution au niveau du Compas et le niveau est très élevé aujourd’hui. C’est une belle avancée.
Que sais-tu aujourd’hui, que tu ne savais pas avant ?
Jean-Philippe –Pendant toute ma vingtaine, je croyais encore dans le changement de l’être humain, je croyais que le collectif allait gagner sur l’individualisme. Mais il y a une peur chez l’être humain qui perdure, la peur de l’autre, la peur de s’ouvrir au monde. La trentaine m’a permis de prendre conscience de la montée de l’individualisme, de ce chacun pour soi.
Ayant grandi dans une famille très aimante où on était toujours ensemble, où nous partagions des intérêts communs. J’ai été choqué de découvrir cet individualisme en grandissant.
Comment vois-tu l’avenir ?
Jean-Philippe – J’ai une vision contrastée de l’avenir. Notre planète est en manque de ressources, et quand je regarde notre impact sur l’environnement, le climat sociopolitique et économique, je trouve que nos actions ne s’alignent pas et j’ai quelques inquiétudes.
Mais quand je vois arriver une vague de jeunes qui veulent prendre part au changement. il y a quand même un petit vent d’optimisme.
Merci Jean-Philippe d’avoir accepté de répondre à nos questions !
Jean-Philippe – Merci à toi pour cet entretien.
Propos recueillis par Soucaneau Gabriel